| Rédacteur : Phil.B |
C’est ce que Fortuné Henry a voulu faire en arrivant à Aiglemont, petit village ardennais, en 1903. Ce parisien, dégoûté par la société après l’exécution capitale de son jeune frère terroriste anarchiste, a acheté pour une bouchée de pain une clairière immense avec tout le confort nécessaire (bois, sources, terres cultivables), et a commencé, seul, à l’aménager. Peu à peu, des sympathisants se sont joints à lui, et en moins d’un an des constructions de plus en plus élaborées se sont construites : habitations, écuries, poulaillers… D’abord décontenancés par ce personnage singulier et ses compagnons, les habitants des villages alentours se sont pris de curiosité pour cette petite communauté qui, contre toute attente, semblait plutôt prospère avec ses cultures florissantes, ses beaux animaux de ferme, et surtout sa philosophie de vie tellement fascinante et sujette à débats.
L’histoire rappelle évidemment les utopies littéraires socialistes comme celles de Saint Simon ou de Thomas More, sans oublier celles, plus récentes, à la mode en Amérique au tournant du XXème siècle (Edward Bellamy, William Morris…). Sauf que « L’Essai », du nom de la colonie, portant dans son nom tout le côté expérimental de la chose, fut bel et bien une tentative pratique et concrète des principes communistes anarchistes, afin de démontrer le bien-fondé de leurs idéaux. Raconté en focalisation interne par Fortuné lui-même, le récit de Nicolas Debon, sans faille, est rythmé et bien documenté grâce à des sources de première main provenant des archives d’Aiglemont. Il a le mérite, en ce début de XXIème siècle fort perturbé, de mettre en perspective nos interrogations en rappelant que nos aïeux, au début d’un autre siècle, se posaient exactement les mêmes. Riche en réflexions et en débats mis en scène, le scénario n’est aucunement partisan et se contente de montrer pourquoi ça marche, et, finalement, pourquoi ça ne marche pas.
Le dessin de Debon déroute au premier abord, de par ses personnages un peu raides et la nature faussement naïve du trait. Le découpage et le rythme maintenu (à défaut de soutenu) du récit ne manque pas d’emporter l’adhésion, tout comme les couleurs directes en plein accord avec le graphisme, volontairement déroutantes et appliquées nerveusement à coups de crayon.
Ce One-shot de l’excellente collection « Long Courrier » chez Dargaud est une fort agréable lecture, même au-delà de son intérêt historique indéniable.