| Rédacteur : Phil B. |
Tous les ans, le suspense est insoutenable : le Fauve d'Or d'Angoulême est-il bon ?
Les avis divergent sur ce prix hautement controversé dont certains pensent qu'il récompense des albums de haute volée intellectuelle qui méritent une mise en lumière, alors que beaucoup pensent qu'il est déconnecté du marché et de la réalité de ce que les gens lisent. On ne les mettra pas d'accord tout de suite.
En 2015, c'est Riad Sattouf qui reçoit la distinction suprême, pour la deuxième fois. Son album "L'Arabe du Futur", premier d'une série de 3 sur son enfance en Libye et en Syrie, jouit d'une très bonne presse et a été plusieurs fois primé.
Ne reculant devant aucun sacrifice, votre serviteur a acheté et a lu (quelle abnégation !) ledit ouvrage.
Première remarque positive : Riad Sattouf renoue avec son style roman-graphique de "Retour au collège" (Hachette Littératures, 2005) et s'éloigne fort opportunément de son "Pascal Brutal" dont on cherche l'intérêt, ou de pépites aux titres évocateurs comme le "Manuel du puceau" (rééd. L'Association, 2009). Il revient donc, pour ainsi dire, aux choses sérieuses et nous présente un beau livre épais au format 17x24, respectant les codes des "romans graphiques", quelque part entre littérature et BD. La couverture, gentiment provocatrice, annonce la couleur : un titre iconoclaste et intrigant, sous lequel la petite famille Sattouf évolue sous le regard sombre et l'attitude militaire d'un Kadhafi fort bien caricaturé.
Papa Abdel-Razak, syrien, musulman et universitaire de haut niveau, se fait embaucher facilement par l'université de Tripoli, et amène avec lui sa femme bretonne et son jeune fils, Riad, poupon aussi blond que sa mère. Puis ce sera en Syrie à Homs, sa ville natale, qu'il débarquera avec femme et enfants, pour une longue période où Riad, pas vraiment couleur locale, essayera de s'intégrer, notamment grâce à l'école.
Riad nous raconte donc son enfance telle qu'il l'a vécue : ses souvenirs sont égrenés à travers son regard d'enfant, un regard forcément sélectif qui engendre une enfilade d'anecdotes plus ou moins intéressantes et significatives quant au contexte auquel il était, avec sa famille, confronté. La voix off adopte un style simple en rapport avec la jeunesse du héros (lui). Sans porter le moindre jugement, il expose ce qu'il a vu, le délabrement des villes libyennes et syriennes, les petites absurdités et cruautés quotidiennes d'un peuple soumis à la dictature (Kadhafi d'un côté, Hafez El-Hassad de l'autre), et surtout la bienveillance de son père envers ces dictateurs. Malgré le recul et l'esprit critique dont faisait preuve maman Clémentine, Abdel-Razak marchait à fond dans la culture de l'arabe viril, hargneux et tenace que représentaient les despotes militaires islamistes, et tournait en dérision les reproches que pouvait leur faire sa femme.
En fin de compte, c'est, plus qu'une autobiographie, un portrait brut et peu flatteur de son père que Sattouf nous donne à découvrir, sans y apporter la moindre critique explicite. Coincé entre respect infini pour son père et critique de ses positions politiques, Sattouf se contente d'une neutralité qui n'en est pas vraiment une.
Visuellement, le dessin de Sattouf est mis en valeur par des choix de couleurs monochromes qui changent à chaque nouveau pays. Loin d'être désagréable à lire, on est quand même, au bout de 160 pages, au bord de la fatigue à force de voix off omniprésente, de grosses ficelles narratives (comme les flèches vers des éléments du décor, pour gagner du temps) et l'enchaînement d'anecdotes pas forcément bien liées entre elles. Pédagogiquement, on n'apprend pas grand chose, le seul but semblant être l'exposé attendrissant du quotidien sous dictature militaire à travers les yeux innocents d'un enfant.
Dernier handicap pour ce livre : quand on met dans la même phrase "Autobigraphie", "Enfance", "Dictature" et "Islamisme", on pense tout de suite à... "Persépolis" de Marjane Satrapi, bien évidemment, et là notre arabe futuriste a vraiment du mal à tenir la distance. Là où Satrapi nous donnait une vision de la situation iranienne sous le Shah à une plus grande échelle, Sattouf ne fait qu'effleurer le problème en évitant, peut-être volontairement, toute mise en perspective de ses souvenirs d'enfance. C'est peut-être à nous de le faire.
Les avis divergent sur ce prix hautement controversé dont certains pensent qu'il récompense des albums de haute volée intellectuelle qui méritent une mise en lumière, alors que beaucoup pensent qu'il est déconnecté du marché et de la réalité de ce que les gens lisent. On ne les mettra pas d'accord tout de suite.
En 2015, c'est Riad Sattouf qui reçoit la distinction suprême, pour la deuxième fois. Son album "L'Arabe du Futur", premier d'une série de 3 sur son enfance en Libye et en Syrie, jouit d'une très bonne presse et a été plusieurs fois primé.
Ne reculant devant aucun sacrifice, votre serviteur a acheté et a lu (quelle abnégation !) ledit ouvrage.
Première remarque positive : Riad Sattouf renoue avec son style roman-graphique de "Retour au collège" (Hachette Littératures, 2005) et s'éloigne fort opportunément de son "Pascal Brutal" dont on cherche l'intérêt, ou de pépites aux titres évocateurs comme le "Manuel du puceau" (rééd. L'Association, 2009). Il revient donc, pour ainsi dire, aux choses sérieuses et nous présente un beau livre épais au format 17x24, respectant les codes des "romans graphiques", quelque part entre littérature et BD. La couverture, gentiment provocatrice, annonce la couleur : un titre iconoclaste et intrigant, sous lequel la petite famille Sattouf évolue sous le regard sombre et l'attitude militaire d'un Kadhafi fort bien caricaturé.
Papa Abdel-Razak, syrien, musulman et universitaire de haut niveau, se fait embaucher facilement par l'université de Tripoli, et amène avec lui sa femme bretonne et son jeune fils, Riad, poupon aussi blond que sa mère. Puis ce sera en Syrie à Homs, sa ville natale, qu'il débarquera avec femme et enfants, pour une longue période où Riad, pas vraiment couleur locale, essayera de s'intégrer, notamment grâce à l'école.
Riad nous raconte donc son enfance telle qu'il l'a vécue : ses souvenirs sont égrenés à travers son regard d'enfant, un regard forcément sélectif qui engendre une enfilade d'anecdotes plus ou moins intéressantes et significatives quant au contexte auquel il était, avec sa famille, confronté. La voix off adopte un style simple en rapport avec la jeunesse du héros (lui). Sans porter le moindre jugement, il expose ce qu'il a vu, le délabrement des villes libyennes et syriennes, les petites absurdités et cruautés quotidiennes d'un peuple soumis à la dictature (Kadhafi d'un côté, Hafez El-Hassad de l'autre), et surtout la bienveillance de son père envers ces dictateurs. Malgré le recul et l'esprit critique dont faisait preuve maman Clémentine, Abdel-Razak marchait à fond dans la culture de l'arabe viril, hargneux et tenace que représentaient les despotes militaires islamistes, et tournait en dérision les reproches que pouvait leur faire sa femme.
En fin de compte, c'est, plus qu'une autobiographie, un portrait brut et peu flatteur de son père que Sattouf nous donne à découvrir, sans y apporter la moindre critique explicite. Coincé entre respect infini pour son père et critique de ses positions politiques, Sattouf se contente d'une neutralité qui n'en est pas vraiment une.
Visuellement, le dessin de Sattouf est mis en valeur par des choix de couleurs monochromes qui changent à chaque nouveau pays. Loin d'être désagréable à lire, on est quand même, au bout de 160 pages, au bord de la fatigue à force de voix off omniprésente, de grosses ficelles narratives (comme les flèches vers des éléments du décor, pour gagner du temps) et l'enchaînement d'anecdotes pas forcément bien liées entre elles. Pédagogiquement, on n'apprend pas grand chose, le seul but semblant être l'exposé attendrissant du quotidien sous dictature militaire à travers les yeux innocents d'un enfant.
Dernier handicap pour ce livre : quand on met dans la même phrase "Autobigraphie", "Enfance", "Dictature" et "Islamisme", on pense tout de suite à... "Persépolis" de Marjane Satrapi, bien évidemment, et là notre arabe futuriste a vraiment du mal à tenir la distance. Là où Satrapi nous donnait une vision de la situation iranienne sous le Shah à une plus grande échelle, Sattouf ne fait qu'effleurer le problème en évitant, peut-être volontairement, toute mise en perspective de ses souvenirs d'enfance. C'est peut-être à nous de le faire.